Siebel, 98 ans, témoin de légende pour le RCT

mayol stade toulon

«Je suis né le 25 septembre 1913, vers 5 h du matin, place Macé, aux Routes», annonce-t-il en guise de présentation dans son appartement de la rue César-Vezzani. Avant d’ajouter fièrement : « Et j’ai vécu dans tout Toulon.» Du stade des Routes à celui de Mayol en passant par le cours Lafayette et le port, Siebel – ainsi nommé d’après Faust – a traversé mille et une vies.

Portefaix au marché – où il a rencontré son épouse Renée -, ce père de neuf enfants a également été cuisinier, infirmier ou encore récupérateur de métaux, poutres et cuivre. Si cet épicurien avoue un éternel péché mignon pour la chantilly, la passion de sa vie reste bien évidemment le rugby.

« La mémoire, ça m’échappe parfois», prévient-il en s’excusant presque. Car il faut remonter loin pour écouter son histoire rouge et noir, presqu’un siècle. À l’époque où « ce grand chanteur-là», Félix Mayol, offrait à Toulon son stade. Siebel avait 7 ans et des ballons ovales plein les yeux.

C’est au ROR, Rugby olympique des Routes, qu’il fait ses premières percées à 16 ans avant de rejoindre les frères Bonnus chez les juniors du RCT. L’ailier trois-quarts connaît alors l’ivresse de fouler la pelouse du temple de Besagne pendant deux années. « Après, j’ai dû arrêter parce que ça frappait trop… Faut dire, à cette époque, le rugby, c’était la vaillance, un sport dur. J’en ai vu des joueurs tomber KO sur le pré… Maintenant, ça s’est un peu assagi, c’est un peu plus mou, enfin façon de parler, hein», sourit-il.

Les années 1930, la meilleure époque

Et d’admettre sans hésiter que la meilleure époque du club était les années 1930. Avec cet air un rien provocateur et malgré tout empli de bienveillance, celui de l’ancien qui note simplement qu’« avant, c’était mieux ». « C’était plus simple, plus sympathique», tempère-t-il, beau joueur. Évidemment, on ne peut effleurer cet âge d’or sans penser immédiatement à 1931, le premier bouclier de Brennus. « C’était très fort… Toulon avait battu Lyon. Les joueurs étaient rentrés de Bordeaux en train. La foule était partout(30 000 personnes estimées à l’époque, Ndlr). Bus, tramways, tout était arrêté… Il y avait une effervescence formidable. Tout le monde criait « Toulon champion » de la gare jusqu’à République. On était champions de France pour la première fois ! Je n’ai jamais revu ça à Toulon.»

Un moment historique même si Siebel a eu le privilège de voir sa ville championne de France trois fois. « En 1987, l’équipe réserve a gagné contre le Racing, c’était très fort aussi. Et en 1992, c’était un peu la surprise, cette victoire contre Biarritz. Eric Champ qui soulève le Bouclier à la mairie… C’était grand.» Et puis, il y a toutes ces finales infructueuses en championnat ou en challenge Yves-du-Manoir. « Vivre une finale, c’est… y’a pas de mots, en fait», reconnaît-il avec émotions.

Période noire et professionnalisation

Les années 1980 amorcent une lente descente aux enfers dans le cœur de ce Toulonnais. Sa ville va mal, son club aussi. Jusqu’à la rétrogradation en 2000. « Quand on est descendus en seconde division, ça a été très dur… Les Toulonnais étaient déçus. D’autant que la vie à Toulon était difficile avec la politique, le chômage, les affaires d’argent. Parce que dans le rugby aussi, il y avait des problèmes de sous dans la caisse. Les frères Herrero se sont imposés… L’argent casse tout. La professionnalisation n’a pas aidé.»

Même s’il reconnaît que l’arrivée de Mourad Boudjellal a été providentielle pour le club du Muguet. « C’est un bon, il en a dans la tête et dans les poches !» Siebel soutient donc ce RCT version 2012 même s’il déplore les montants astronomiques qui circulent au sein de l’équipe. « On a Wilkinson, c’est du super, et l’équipe dans son ensemble est bonne et défend bien. Mais trop d’argent, ça crée des jalousies… Aujourd’hui, le rugby est parfois plus une histoire de sous que de sport. Je ne sais pas comment ça va évoluer, il faudrait que le rapport argent-sport reste stable, que ça ne devienne pas comme au football…»

Mayol, unique au monde

Et son pronostic pour la saison ? « J’espère qu’on va gagner bien sûr !» Car si les décennies ont poli les contours de ce ballon qu’il chérit, la passion reste intacte. Et quel plus beau témoignage d’amour que ce stade qui rugit ? « Cette ambiance, vous ne la trouverez nulle part ailleurs ! Il faut le vivre quand les joueurs entrent sur le pré. Ils sont transcendés, ils sont eux-mêmes, mais avec un plus. On le sent, ça fait quelque chose… Avant, quand ils perdaient, on les voyait s’asseoir sur la pelouse et rester là, sans bouger, déçus.»

Et s’il le pouvait, Siebel continuerait d’arpenter les travées de Besagne. Jusqu’à l’an passé, il regardait encore les matches depuis son fauteuil roulant sur le bord du terrain. « Les places fauteuils sont devenues payantes, c’est plus compliqué», explique sa fille Evelyne avec regrets. Sa dernière soirée à Mayol remonte donc au match amical contre le Racing Métro en juillet 2010. « Et on avait gagné hein…» Évidemment. Parce qu’après un siècle d’histoire en rouge et noir, sa logique est toujours imparable : « Toulon, c’est Toulon, hein…»

 

Source: Varmatin.com